La situation des mineurs exposés au trouble psychique d’un parent.

6 décembre 2023 News juridique

La santé mentale constitue, aujourd’hui encore, un réel tabou pour notre société.
Les victimes de ce silence sont notamment les enfants exposés au trouble mental
d’un parent car il participe grandement à leur invisibilisation. Or, l’exercice de la
parentalité peut être considérablement mis à mal par la maladie psychique. Un tel
trouble peut engendrer des bouleversements psychosociaux pour le parent, mais
aussi pour le jeune, ainsi que des défaillances dans le rôle parental. Cela peut même
affecter la relation entre le parent et son enfant et le développement de celui-ci,
aussi bien à court qu’à plus long terme1.


Dès lors, quels sont les impacts d’une telle situation sur la santé mentale et sur la
vie sociale, économique et scolaire de l’enfant ? Certains de ses droits sont-ils mis à
mal ? Est-il protégé par la législation, tant internationale et européenne que belge ?
Vers quel service peut-il se tourner pour demander de l’aide ? Ce sont tant de
questions auxquelles cette news juridique a vocation à répondre.

Quels impacts du trouble psychique du parent…

…Sur la santé mentale de l’enfant ?

L’équilibre de la structure familiale d’un jeune, qu’il soit enfant ou adolescent, et l’état psychique de ses parents ont un impact significatif sur la santé mentale de ce dernier. Ainsi, lorsqu’un parent est atteint d’un trouble psychique, l’enfant peut, lui aussi, être impacté à différents niveaux.

D’abord, cette situation est susceptible de générer chez lui du stress, de l’angoisse et des états dépressifs. Vivre au quotidien avec un parent atteint d’un trouble psychique le conduit à éprouver un état de vigilance permanent dans lequel il doit anticiper les débordements éventuels du parent et tenter d’expliquer, dans le but de le comprendre, un système de logique déconcertant.

Le jeune peut également être sujet à la culpabilité. Ainsi, il peut être amené à se remettre en question et à porter la faute de l’état psychique du parent[1]. Il peut aussi ressentir un besoin de se mettre à distance, voire de s’opposer à ce dernier afin de s’en différencier. Ce besoin peut s’expliquer par la nécessité de se protéger de la stigmatisation et de la honte qui découlent souvent de l’image sociale, jugée dévalorisante, véhiculée par une personne dont la santé mentale est atteinte.

Enfin, le jeune peut se voir contraint d’échanger sa fonction d’enfant avec celle de son parent. Le processus qui se joue alors est une inversion des rôles dans le lien parent/enfant. Dans le cadre de cette parentification, des objectifs comme ceux de protéger l’adulte, veiller sur lui et prendre en charge ses besoins matériels et affectifs sont jugés premiers par le jeune, au détriment de ses activités et besoins personnels. Ce mécanisme n’est souvent pas reconnu par l’entourage socio-familial et professionnel, alors qu’il peut endommager fortement et durablement son état psychologique[2]. Outre les effets directs sur sa santé mentale, les risques que le jeune développe lui-même un trouble psychique au cours de sa vie sont plus élevés[3].

…Sur la vie sociale, économique et scolaire de l’enfant ?

Le trouble psychotique du parent peut amener à ce que le ménage tout entier se retrouve dans des conditions de précarité, si bien que l’enfant peut se retrouver en partie en charge de l’équilibre économique du foyer[4]. Ces grandes responsabilités mènent bien souvent à ce que le jeune s’isole et limite ses activités, loisirs et passe-temps. Sa réussite scolaire n’en est pas moins épargnée, car les enfants de parents porteurs d’un trouble psychique sont plus enclins à rencontrer des difficultés scolaires, voire de l’absentéisme. La fatigue, les absences et retards potentiels, le manque de temps pour réaliser les devoirs à la maison et le manque de socialisation à l’école sont notamment des difficultés auxquelles les jeunes dans cette situation doivent faire face[5].

Quels droits de l’enfant sont mis à mal ?

Un enfant est donc incontestablement impacté lorsqu’il est exposé au trouble psychique de son parent. S’il est clair que les impacts sont variables en fonction des circonstances, il n’en reste pas moins qu’ils peuvent entrer en collision avec les droits fondamentaux de l’enfant. Il est en effet pertinent de penser que des droits tels que le droit à la santé, le droit au bien-être, le droit d’être protégé contre les mauvais traitements, le droit d’être élevé et de grandir sous la responsabilité des parents, le droit d’aller à l’école et le droit aux loisirs, au repos et aux jeux[6] risquent de ne pas être respectés dans ce contexte.

Quelle protection prévue par la législation internationale, européenne et belge ?

A ce jour, on ne trouve, dans les productions de comités d’experts internationaux, aucune recommandation à propos de l’intérêt de protéger les droits fondamentaux de l’enfant d’un parent présentant un trouble psychique ; ni dans les observations du Comité des droits de l’enfant[7], ni dans la stratégie des Nations unies pour la santé mentale et le bien-être[8], ni dans le plan d’action de l’Organisme Mondial de la Santé[9], ni dans le rapport 2020 de la Fédération mondiale pour la santé mentale[10], ni dans la Déclaration d’Helsinki[11].

On peut faire le même constat au niveau européen, puisque pas plus le Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être[12], que la brochure des bonnes pratiques en matière de santé mentale de la Commission européenne[13] n’en fait mention.

La majorité de ces instruments insiste sur l’importance de la formation des acteurs de terrain et de la promotion des bonnes pratiques. Certains d’entre eux mettent davantage l’accent sur l’expérience des proches de personnes malades mentales, soulignant un vécu parfois plus difficile. Toutefois, tous négligent de considérer explicitement la possibilité que ce proche puisse être un mineur[14]. Pourtant, la Commission européenne, dans une communication de juin 2023 relative à la santé mentale, souligne l’importance d’adopter une approche globale afin de protéger les enfants contre toute forme de violence. Elle reconnaît également que l’enfance est une étape aussi décisive que formatrice et qu’à ce titre, les enfants qui sont confrontés à des épreuves peuvent en subir les conséquences sur leur santé mentale tout au long de leur vie[15].

Le droit belge n’est pas plus armé pour protéger concrètement les droits d’un enfant confronté au trouble mental de son parent car à l’heure actuelle, aucune loi spécifique ne traite de leur situation particulière. Certes, il existe la loi du 12 mai 2014 relative à la reconnaissance de l’aidant proche[16] qui a été modifiée en 2019[17] pour permettre à une personne, même mineure, d’obtenir la reconnaissance de son statut d’aidant proche lorsqu’elle satisfait à certaines conditions. Toutefois, cette loi a vocation à ne concerner que des personnes qui travaillent puisqu’elle ne prévoit d’accorder qu’un congé professionnel thématique d’un mois à la personne reconnue comme aidant proche. Aussi, elle ne concerne que les jeunes qui se trouvent en situation d’aidance. Par conséquent, elle n’est pas destinée à s’appliquer aux jeunes confrontés au trouble psychique d’un parent, sans pour autant se trouver dans une situation d’aidance vis-à-vis de celui-ci et elle ne prévoit en pratique aucun droit pour protéger un enfant projeté dans cette réalité.

A défaut d’une réglementation spécifique, les acteurs de terrain n’ont d’autres choix que d’avoir recours à la mise en observation de l’adulte troublé[18] ou aux services d’aide et de protection de la jeunesse. Par ailleurs, ce genre de solution entraîne certaines difficultés non réglées en pratique comme celle de savoir ce qu’il advient de l’enfant lorsqu’on recourt à une mise en observation de son parent[19]

Dans l’intérêt de l’enfant et de la protection de ses droits fondamentaux, une législation qui envisagerait une prise en charge effective de l’enfant d’un parent atteint d’un trouble psychique serait la bienvenue. Pour ce faire, l’accent pourrait être mis sur la prévention :

  • Informer et sensibiliser afin d’ouvrir le dialogue avec le jeune et sa famille ;
  • Atténuer les tabous persistants liés à la maladie mentale ;
  • Mieux former les professionnels aux droits de l’enfant, ainsi qu’à leurs réalités afin qu’ils puissent identifier plus facilement les éventuelles situations à risque et intervenir de manière appropriée, notamment par un accompagnement psychosocial[20].

Vers quel service d’aide se tourner ?

A l’occasion de cette news juridique, nous aimerions présenter l’Asbl Etincelle[21] qui est un service d’aide au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Cette dernière a fait de « l’accompagnement des jeunes proches de patients » son objectif depuis 2019. Sa philosophie première est la mise en lumière et la prise en compte de la place de l’enfant dans le parcours de soin du parent. Elle propose, pour ce faire, différents services :

  • Elle a d’abord à cœur de s’engager dans une démarche de prévention en dispensant des séances d’information et de réflexion auprès des futurs et actuels professionnels de l’enfance et de la santé mentale, ainsi qu’auprès des jeunes.
  • Elle propose aussi et surtout aux enfants, adolescents et jeunes adultes faisant partie de l’entourage d’une personne atteinte d’un trouble psychologique des entretiens individuels, groupes de parole et ateliers créatifs. Ces espaces d’expression ont pour ambition de soutenir les jeunes et de les aider à faire face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur vie quotidienne.
  • Enfin, l’Asbl propose des entretiens avec les familles afin de préserver le lien entre le parent et l’enfant. L’objectif est de permettre au parent de demeurer partie prenante dans les décisions relatives à l’éducation, tout en priorisant l’intérêt de l’enfant.

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Dernière mise à jour : 06-12-2023

Dans cette news juridique, le masculin est utilisé comme genre neutre et désigne aussi bien les femmes que les hommes.

En aucun cas, la Fédération Infor Jeunes Wallonie-Bruxelles, ou les personnes travaillant en son sein, ne pourront être tenues responsables d’éventuels préjudices découlant des informations prodiguées par les juristes de la FIJWB. En effet, bien que notre objectif soit de diffuser des informations actualisées et exactes, celles-ci ne peuvent être considérées comme faisant juridiquement foi.


[1] E. De Becker, Avoir un parent malade mental : repères diagnostiques et thérapeutiques, Elsevier Masson, 2011, pp. 350, 351 et 352.

[2] Idem.

[3] P. Huerre, A. Leblanc et F. nardot-henn, « L’enfant de parents en souffrance psychique », Enfance et Psy, 2014/4, n°37, pp. 6 à 8.

[4] G. Cherry, « Familles et santé mentale : la place de l’enfant exposé à un trouble psychique d’un parent – Etat de la situation et des pratiques en Région de Bruxelles-Capitale », JDJ, n°425, 2023, p. 15.

[5] E. Jarridge, G. Dorard et A. Untas, « Revue de littérature sur les jeunes aidants : qui sont-ils et comment les aider ? », Pratiques Psychologiques, n°26, 2020, p. 221.

[6] Articles 3, 18, 19, 24, 28 et 31 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant. Pour le lien vers la Convention, c’est par ici.

[7] Pour en savoir plus sur le Comité des droits de l’enfant, c’est par ici.

[8] Pour en savoir plus sur la stratégie des Nations unies pour la santé mentale et le bien-être, c’est par ici.

[9] Pour en savoir plus sur le plan d’action de l’OMS, c’est par ici.

[10] Pour en savoir plus sur le rapport 2020 de la Fédération mondiale pour la santé mentale, c’est par ici.

[11] Pour en savoir plus sur la Déclaration d’Helsinki, c’est par ici.

[12] Pour en savoir plus sur le Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être, c’est par ici.

[13] Pour en savoir plus sur la brochure des bonnes pratiques en matière de santé mentale, c’est par ici.

[14] G. Cherry, « Familles et santé mentale : la place de l’enfant exposé à un trouble psychique d’un parent – Etat de la situation et des pratiques en Région de Bruxelles-Capitale », JDJ, n°425, 2023, p. 17.

[15] Commission européenne (2023), Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur une approche globale en matière de santé mentale, 7 juin 2023, disponible ici.

[16] Loi du 12 mai 2014 relative à la reconnaissance de l’aidant proche, M.B. 6 juin 2014.

[17] Loi du 17 mai 2019 établissant une reconnaissance des aidants proches, M.B. 2 juillet 2019.

[18] Loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux, M.B. 27 juillet 1990.

[19] G. Cherry, « Familles et santé mentale : la place de l’enfant exposé à un trouble psychique d’un parent – Etat de la situation et des pratiques en Région de Bruxelles-Capitale », JDJ, n°425, 2023, pp. 17 et 18.

[20] Idem, pp. 19 et 20.

[21] Pour en savoir plus sur l’Asbl Etincelle, c’est par ici.

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